
Après des expériences marquantes au Relais Bernard Loiseau puis aux côtés du chef Arnaud Faye à l’Auberge du Jeu de Paume et à la Chèvre d’Or, Pauline Gachet a pris le poste de directrice de la restauration au Couvent des Minimes (Mane, 04). Très timide et réservée à ses débuts, elle a su prendre confiance et évoluer dans sa façon de diriger les équipes. Portrait.
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Compte Instagram de Pauline Gachet
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Photographe | Emmanuelle Levesque
Texte | Franck Pinay-Rabaroust
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Partenaire du média De Salle à toi

Être pleinement soi dans un métier de représentation n’est pas chose évidente. Il y a le naturel, et il y a un plus ou moins léger formatage pour répondre aux contraintes spécifiques des métiers de la salle. Quel dosage, quel équilibre entre les deux ? Voilà ce que la rubrique « Intime » cherche à mettre en évidence en partant d’un objet personnel choisi par la personne portraitisée, tel un pont symbolique entre les vies privée et professionnelle.
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L’objet
« J’ai choisi le stylo qui m’a été offert par mes anciens collègues du Relais Bernard Loiseau lorsque j’ai quitté ce restaurant en 2013. Il est écrit dessus ‘Pauline team BL’ Ce cadeau m’a beaucoup touchée car il correspond d’abord à ma personnalité – j’aime écrire – et il allait s’inscrire dans le temps. La preuve, je m’en sers encore tous les jours dans le cadre de mon travail.
Au fil du temps, il a pris une portée symbolique, comme un porte-bonheur. Si je fais un concours, il est toujours avec moi. »
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Une éducation familiale au goût
« Je n’ai pas grandi dans une culture du restaurant. Avec mes parents, nous y allions très peu, une à deux fois par an. En revanche, j’ai toujours eu la culture du goût issue du bon produit. Pas de produits surgelés chez nous, si ce n’est le cochon qui avait été tué par nos soins, jamais de produits transformés. Ma mère était une fine cuisinière, cela compte beaucoup. Très jeune, je trempais mes lèvres dans les verres de vin, juste histoire de. Notre approche familiale du culinaire était très épicurienne. Alors, forcément, quand j’ai goûté la cantine, je me suis dit ‘mais c’est pas possible de manger ça’.»
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Saulieu et la naissance d’une passion
« À l’âge de huit ans, j’ai eu l’immense privilège de découvrir la table de Bernard Loiseau. Mes grands-parents vivaient à Saulieu, où je passais de nombreuses vacances. Ce chef, c’était un mythe dans la famille. Ma grand-mère possédait les torchons, nous nous rendions aux journées gourmandes organisées par le restaurant, etc. Bernard Loiseau, c’était la star absolue. Alors, pour fêter sa retraite, c’était à la fin des années 90, mon grand-père a invité la famille là-bas. Il y avait la table des grands, et celles des « petits » avec ma cousine, mon frère et moi. Je m’en rappelle encore avec émotion : les serveurs tout de blanc vêtus, les découpes en salle, les coloriages posés sur notre table… Je n’avais jamais vu ça de ma vie. Je me rappelle m’être dit : ‘Ça existe un métier où l’on peut donner autant de plaisir, c’est fou et je veux le faire’. J’ai vécu cette journée comme quelque chose d’unique. Avec, en sortant du restaurant, cette décision annoncée à voix haute et vécue comme une sentence par mes parents : ‘Je veux être serveuse quand je serai grande’. »
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La bonne orientation
« Travailler en salle, oui, encore fallait-il que je puisse m’orienter dans la bonne direction. Je lorgnais vers la filière professionnelle mais mes parents ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils m’ont dit ‘passe ton bac, après tu feras ce que tu veux’. Pour eux, la filière ‘pro’, c’était pour les mauvais élèves, ce que je n’étais pas. J’ai obtenu mon bac à ras les pâquerettes. Pour rejoindre un BTS, il me fallait faire une année de mise à niveau, ce que j’ai fait au lycée de Poligny, dans le Jura. Là, toutes mes intuitions se sont confirmées : la cuisine, très peu pour moi, pas assez de contact, pas assez de lumière, des chefs qui braillent… Alors que la salle, elle, me faisait de l’oeil. Certes, notre professeur n’était pas un tendre mais j’ai compris que c’était mon avenir. »
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Votre personnalité
« Je me suis posée cette question de la cohérence entre mon métier et ma personnalité. Car j’ai été une enfant très timide, très réservée. J’avais peu de copines, peu de copains ; j’étais plutôt du genre solitaire. Je lisais beaucoup. Mais, en même temps, j’aimais déjà faire plaisir. Quand ma maman recevait du monde à la maison, c’était un festin : des entrées, des plats, le fromage, les desserts… J’aimais mettre la table, j’aimais toute cette phase de préparation en amont du repas.
Mon éducation ne m’a pas aidée à sortir de cette timidité ; elle a plutôt contribué à entretenir un important manque de confiance en moi. Quand je rentrais avec une bonne note, on me disait que ce n’était pas assez, qu’il fallait faire plus et mieux. Mais si la confiance manquait, j’avais en revanche en moi l’exigence de la rigueur. Quand j’ai démarré au Relais Bernard Loiseau, il suffisait qu’on me dise une fois de faire ça ou ça, et je le répétais comme il le fallait. Rapidement, j’ai été promue cheffe de rang. Au fil des ans et des promotions, j’ai pris confiance en moi. »
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Management : une leçon de vie
« Je me rappelle avoir eu un maitre d’hôtel au Relais Bernard Loiseau extrêmement dur. D’autres étaient adorables mais, manque de chance, c’était lui qui s’occupait de moi. Ses remarques étaient d’une grande violence. À l’époque, il était mon seul référent et j’en ai maladroitement conclu que c’était la façon ‘normale’ de faire ce métier. En arrivant cheffe de rang à l’Auberge du Jeu de Paume, j’ai commencé à agir comme j’avais appris à Saulieu. Le directeur de salle de l’époque m’a alors expliqué, avec tact, que je devais changer mon comportement, sauf à perdre tout le personnel de salle rapidement. Ces mots ont constitué un véritable électrochoc. D’abord, j’ai pris de la hauteur et j’ai compris mes erreurs, qui étaient le résultat de mon inexpérience. Ensuite, j’ai analysé cela et je suis arrivée à la conclusion que l’on avait tendance à promouvoir les personnes qui sont techniquement irréprochables, ce qui se comprend, mais sans jamais mener en parallèle un accompagnement mental. Or l’erreur est terrible car la dimension humaine de notre profession est primordiale. À titre personnel, j’en étais arrivée à perdre toute empathie : si je bouffe l’autre, il ne me mangera pas. Un tel raisonnement constituait une erreur. Mais il m’a fallu les mots d’un tiers de confiance pour le comprendre. Une vraie leçon de vie. »
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Le service : au naturel
« Au sujet du service en salle, je lis souvent qu’il faut jouer un rôle, qu’il y a un chef d’orchestre et des musiciens du service qui sont en représentation. Je suis à l’opposé de cette vision qui revient à ne pas être soi-même. Respecter des codes et rester fidèle à sa personnalité, ce n’est pas antinomique.
Par exemple, servir les plats de façon synchronisée contribue à rendre cet instant agréable à voir ; cela n’a pas pour ambition d’être ostentatoire ou prétentieux.
En n’étant pas dans le vrai avec le client, je crois sincèrement que l’information ne passe pas de la même façon de la salle au client. La cuisine de notre restaurant étoilé est franche, elle représente vraiment la personnalité de l’équipe, et notamment de Louis (Louis Gachet, mari de Pauline, ndlr).
Être soi, ce n’est certainement pas oublier notre professionnalisme au vestiaire. Si je n’ai pas envie de sourire à un client, je ne vais pas faire la tête mais je ne vais pas surjouer un rôle. Je trouve qu’il n’y a rien de pire pour un client que de rentrer dans un restaurant et recevoir un sourire faux cul. »
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Le regard de votre famille sur votre métier
« Ce regard sur mon choix de vie n’a pas toujours été facile. Mes parents étaient à la tête d’une ferme où ils élevaient des boeufs de Charolles. Un milieu rural et agricole où déjà naitre fille n’est pas évident. Un autre monde donc. Mais ils sont venus manger dans les restaurants où j’ai travaillé et ils ont compris l’excellence du métier et la rigueur nécessaire. Je pense pouvoir dire qu’ils étaient heureux de cela. Quant à mon frère, âgé de 30 ans aujourd’hui, il a repris la ferme familiale. Il ne m’a jamais jugé sur mes choix. Comme mes parents, il est venu manger et il a aimé. Finalement, tout n’a pas été rose mais les uns et les autres sont heureux de mes choix. C’est important pour moi. »