Être pleinement soi dans un métier de représentation n’est pas chose évidente. Il y a le naturel, et il y a un plus ou moins léger formatage pour répondre aux contraintes spécifiques des métiers de la salle. Quel dosage, quel équilibre entre les deux ? Voilà ce que la rubrique « Intime » cherche à mettre en évidence en partant d’un objet personnel choisi par la personne portraitisée, tel un pont symbolique entre les vies privée et professionnelle. 

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Gaylord Goulette, 40 ans, chef sommelier depuis 17 ans du Coquillage (Saint-Méloir-des-Ondes) et des autres maisons de l’univers Roellinger, voue une passion profonde pour la restauration et le monde de la salle. Avec l’expérience et une bonne dose d’abnégation, le Sarthois a évacué la question de la confiance en soi pour arriver à être lui-même en salle, sans jouer ni surjouer. Portrait intime d’un sommelier souriant et profondément attachant. 

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Texte | Franck Pinay-Rabaroust
Photographies | Emmanuelle Levesque

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L’objet

« J’ai d’abord hésité. Ma première idée était de prendre une photo de ma fille quand elle avait 18 mois (elle a aujourd’hui neuf ans). Cette photo a été réalisée pour sa carte d’identité. Il nous en fallait une pour nous permettre de nous rendre à Porto (Portugal) pour se balader dans les vignobles. La photo se trouve aujourd’hui dans ma voiture. Je la regarde chaque jour quand je prends mon véhicule. Mais j’ai finalement retenu mes carnets de dégustation qui sont un peu mes carnets de voyage. Ils me suivent toujours, quand je vais chez un vigneron, un salon ou une dégustation. Comme je goûte beaucoup, je me dois de prendre des notes, avec une multitude d’informations sur le vin. Cela me permet de me rappeler des spécificités des vins, et cela me permet également de raconter des histoires justes au client des restaurants dont je m’occupe. 

Dans les carnets, je note tout, avec des commentaires. Je précise ainsi si cette cuvée va aller sur la carte du Coquillage (la table triplement étoilée), le bistrot, s’il sera vendu plutôt au verre ou à la bouteille, etc. Régulièrement, je me sers de mes carnets pour rechercher ou vérifier une information. Par la force des choses – surtout le manque de temps -, je peux enchaîner une quinzaine de vignerons en trois ou quatre jours quand je pars à leur rencontre. Forcément, noter est essentiel. 

Je possède à ce jour une dizaine de carnets que je conserve précieusement. Je n’ai pas de marque préférée, mais je dois reconnaitre que certains carnets m’ont été donnés par mon ami Emmanuel Lassaigne, vigneron en Champagne qui les offre régulièrement à ses clients fidèles. Dont je fais partie. Ces carnets font vraiment le pont entre mes vies personnelle et professionnelle car ma passion ne connait pas de frontière entre les deux. »

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La famille

« Mes parents sont retraités. Mon père travaillait à l’usine, de nuit. Un rythme dur. Ma maman était auxiliaire de vie, femme de ménage, aide à domicile. Là aussi, c’était difficile. J’ai toujours eu cette immense reconnaissance envers eux pour les sacrifices qu’ils ont fait pour me permettre de faire les études que je désirais. Cinq ans de formation en école hôtelière, l’achat de la mallette à couteaux, les costumes pour l’école, les tenues professionnelles en cuisine et en salle… Je suis fier, de par mon parcours, d’avoir honoré leurs investissements. 

J’ai une sœur qui a évolué un temps dans le tourisme ; elle travaille aujourd’hui dans le secteur immobilier en Suisse. Et je suis un papa totalement épanoui avec ma fille de neuf ans. »

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La découverte du vin

« Lors d’un repas de famille, j’étais alors adolescent, ma sœur – qui travaillait à l’époque dans le tourisme – me conseille de m’orienter vers le monde de l’hôtellerie et de la restauration. Comme j’étais jovial et souriant, elle estimait que ce secteur me conviendrait. En 1999, je rentre donc en formation au Mans (Sarthe) et je ressors avec un BTS et une formation poussée sur les langues étrangères, une autre de mes passions. 

À la cuisine qui me plaisait beaucoup, je préfère finalement la salle. J’aime le contact avec le client et, bien évidemment, ce n’est pas en cuisine que je vais me servir des langues étrangères que je maitrise. Très naturellement, je me suis tourné vers le vin et j’y ai découvert un univers passionnant, en mouvement perpétuel, dans lequel il faut sans cesse découvrir, s’imprégner, goûter, se remettre en question. Avec le vin, il devient tout simplement impossible de se lasser du métier. »

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Le métier de sommelier ? 

 « Cela n’est pas évident de définir en quelques mots le métier de sommelier. Il y a d’abord ce que nous ne sommes pas : des créateurs, des artisans. Et il y a ce que nous sommes : des transmetteurs, des ambassadeurs, des « partageurs ». Au cœur du métier, il y a les liens de fidélité que nous créons avec les vignerons, cela me semble essentiel. 

Le sommelier n’est ensuite que le maillon final, celui qui prend en main le « fruit » du vigneron, la bouteille, pour la valoriser le mieux possible auprès du client du restaurant. Et lui faire aimer ce que nous, nous aimons également. N’oublions pas le côté « formation   » auprès des équipes, quand équipe il y a. Au Coquillage, nous sommes une équipe de quatre sommeliers pour 35 couverts. Mon rôle consiste donc également à impliquer tout le monde dans la découverte des vins. Et cela fonctionne très bien. 

Comme je le dis souvent, pour un sommelier, le travail de représentation en salle, c’est trois à quatre heures d’affilée, deux fois par jour. Puis il y a tous les à-côtés : la mise en place du décor, la mise en scène, et les répétitions. Il s’agit vraiment d’un métier passion d’une grande exigence. Les sorties dans le vignoble, si elles sont intenses dans le rythme constitue une bulle d’oxygène salutaire. »

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« Le sommelier n’est ensuite que le maillon final, celui qui prend en main le « fruit » du vigneron« 

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Rôle ou pas rôle devant le client  ? 

« Sans aucune prétention, j’ai le sentiment d’être moi-même en salle, d’être naturel sans jamais jouer ou surjouer le moindre rôle. Si je souris, c’est que je souris naturellement, sans me forcer. Je suis foncièrement gentil, et je crois que cette gentillesse ressort comme une évidence quand j’accompagne nos clients à vivre l’expérience de nos tables. J’ai réellement une flamme qui m’anime. Si elle vient à diminuer, ou même s’éteindre, alors je me poserais les bonnes questions. Au final, mon métier n’est que la continuité naturelle de ce que je suis. »

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« Si je souris, c’est que je souris naturellement, sans me forcer »

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Un trait de votre personnalité à gommer ou à atténuer ? 

« Au fil des ans, j’ai su gommer une certaine nervosité. Mais il faut aussi replacer mon métier dans le contexte de l’époque. Au début de l’aventure du Coquillage, je devais assurer seul une moyenne de 65 couverts. Forcément, cela n’aide pas à la sérénité. Au fur et à mesure, j’ai appris à me poser, ce qui a été d’autant plus facile que l’équipe s’est enrichie en même temps que le nombre de couverts se réduisait. 

De sommelier solitaire, je suis devenu chef sommelier. D’où l’acquisition de nouvelles compétences, celles du management. J’ai reçu pour cela une formation qui a été très enrichissante, et que je prends soin de mettre en pratique. Mais ce qui semble parfois simple sur le papier ne l’est pas dans la pratique. Le management, c’est savoir comprendre chaque personne et s’adapter à chacun : prendre du recul, être à l’écoute, anticiper… Et être calme. 

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La confiance en soi

« La question de la confiance en soi s’est bien sûr posée pour moi. En cuisine par exemple, c’était patent, évident. J’aurais peut-être réussi à m’en sortir – on ne le saura jamais -, mais la créativité culinaire me posait véritablement question. Avec le vin, c’est autre chose. La mémoire – j’ai la chance d’être doté d’une très bonne mémoire – et le travail m’ont permis d’avancer en sommellerie. Je me rappelle encore de mes premiers pas au sein du restaurant Akelare (Espagne) qui jouissait de deux, puis de trois étoiles au guide Michelin. J’y suis resté trois années. Le chef sommelier, Carlos – qui occupe toujours le poste – m’a beaucoup appris du métier. Le restaurant a créé un poste d’assistant pour me permettre d’évoluer à ses côtés. Au début, il m’arrivait régulièrement de rougir face à un client qui me posait des questions ou qui pouvait en connaitre plus que moi sur tel ou tel domaine. 

Mais au fil des années vient l’expérience et, par voie de conséquence, la confiance en soi. Ce qui formidable, c’est justement le pont entre le professionnel et le personnel. La confiance acquise par le travail a glissé sur le terrain personnel. Il s’agit d’un double épanouissement intiment lié. Ce qui n’enlève rien à l’exigence du métier et à toutes ses contraintes. 

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Un autre métier possible ? 

« J’ai toujours eu une attirance pour les métiers qui sauvent les personnes : tout le milieu médical, notamment les urgentistes, mais aussi les sapeurs pompiers. J’ai suivi pendant sept ans les entrainements des sapeurs-pompiers deux fois par semaine. Pendant que mes copains partaient au foot, moi je m’entrainais à sauver des vies. Cela me plaisait vraiment. Faut-il y voir un parallèle avec mon métier actuel ? Pas vraiment car le sommelier ne sauve pas des vies ; il peut en revanche faire un peu rêver ; on retrouve l’idée du contact direct avec les gens ; et il y a l’idée de donner de soi, à des échelles différentes si on peut dire. »



Lien vers le site du restaurant Le Coquillage
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