
Dossier | La salle doit-elle se mettre au parfum ?
Comme une sorte de règle absolue, le parfum brille par son absence dans la salle de restaurant. Pour Jeanne Doré, co-fondatrice et rédactrice en chef de la revue Nez, il y a pourtant des pistes à exploiter, en se tournant notamment vers des odeurs naturelles. Elle rappelle également que certains chefs ont déjà travaillé sur la question, à l’instar d’Akrame Benallal.
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Site du « mouvement culturel olfactif » Nez
La revue Nez sur Instagram
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Texte | Franck Pinay-Rabaroust
Photographies | Romain Bassenne – Marge Design, Ava du Parc
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Dans l’enceinte du restaurant, le royaume des odeurs se doit d’être… neutre. Voire inexistant. « Pour le personnel de salle, les odeurs intimes sont surveillées j’imagine » avance Jeanne Doré qui en connait un rayon sur tout ce qui touche à l’olfactif. Co-fondatrice et rédactrice en chef de l’excellente revue Nez, elle se penche en permanence sur cet univers aussi passionnant pour chacun de nous que lointain dans le monde de la restauration. « En tant que cliente, je n’ai pas le moindre souvenir d’une personne qui sentait le parfum. Forcément, un parfum trop présent pourrait polluer l’appréciation olfactive et gustative d’un plat. » Pour les plaisirs de la bouche, le nez, en tant qu’organe indépendant, s’efface.
Face à ce qui ressemble à une règle absolue, Jeanne Doré « trouverai(t) intéressant pourtant d’explorer la question de l’olfactif au restaurant. Les hôtels entre autres disposent parfois d’une signature olfactive. Une adresse de streetfood avec un parfum distinctif, ce ne serait pas incongru… » Ce qui semble presque tomber sous le « sens » pour certaines adresses à la cuisine assez simple se révèle plus complexe pour les tables gastronomiques. Pourtant, des tentatives ont eu lieu. Jeanne Doré : « Dans chaque numéro de la revue Nez, nous organisons une rencontre entre un parfumeur et une personnalité d’un autre univers. En 2022, le parfumeur Fabrice Pellegrin a créé un parfum en écho avec la cuisine du chef Akrame Benallal. Il s’agissait d’une illustration olfactive de son restaurant et le chef a développé une bougie autour de celle-ci. » Sur le site Internet de la revue, il est possible de retrouver la trace du parfum créé pour l’occasion, avec la présentation suivante, signée Fabrice Pellegrin : « Akrame parlait beaucoup de la couleur noire, du fumé et du brûlé, qui tiennent une place importante dans sa cuisine. Il a également évoqué son lien avec l’encens, et cette matière première naturelle s’est imposée d’elle-même dans la composition. Elle joue un rôle majeur dans Adorem, où elle apparaît en overdose. J’en ai choisi une qualité particulière : l’encens Vulcain, qui présente un profil fumé. Pour le rendre plus facile d’accès, je l’ai enveloppé d’une absolue de cacao, qui lui procure de la rondeur, de la douceur, je dirais presque un côté charnel, et d’une infusion de vanille qui joue la délicatesse. En tête, j’ai utilisé la fraîcheur et le caractère montant de l’encens SFE (c’est-à-dire un extrait CO2), des baies roses et de l’élémi pour apporter de la tension et une certaine verticalité à la composition. Enfin, le fond boisé, où dominent le patchouli et le cèdre, prolonge l’aspect assez dense et sombre de la note. C’est une construction simple, avec très peu d’ingrédients. Mais faire simple, c’est toujours compliqué ! » On croirait lire un cuisinier qui parle d’une recette.

Entre les deux univers, la cuisine et le parfum, les parallèles sont évidents. Avec une précision de taille que précise Jeanne Doré : « Des odeurs comme l’encens peuvent s’intégrer assez facilement dans un restaurant car il y a notamment un côté sacré. Mais il ne faut pas que ça sente l’artificiel. Tant que l’odeur est naturelle, nous ne sentons pas vraiment un parfum artificiel mais plus quelque chose qui relève de l’atmosphère, d’une ambiance proche et lointaine à la fois. » Reste la question du bon réglage, entre le trop et le pas assez. « Il y a là un besoin d’expertise bien sûr » sourit Jeanne Doré. Qui conclut en précisant que « dans les musées ou les hôtels, il existe aujourd’hui des petits dispositifs discrets à diffusion sèche avec de l’air soufflé. » Pourquoi pas demain dans le secteur de la restauration ? Surtout que cela s’est déjà vu, chez Ultraviolet (Shanghai) par exemple, où le mangeur profitait d’un stimuli olfactif à quatre ou cinq reprises.