Après un apprentissage décisif à l’Hermitage Gantois (Lille, 59), puis une expérience en Angleterre, Jérémy Moreira, 29 ans, a travaillé six années à La Grenouillère (La Madelaine-sous-Montreuil, 62) avant de rejoindre Diego Delbecq et son équipe chez Rozo, à Marcq-en-Baroeul (59). Celui qui est né à deux petits kilomètres seulement du restaurant exprime sa passion pour le contact humain, sa timidité et sa découverte du monde du vin.
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AQUACHIARA, partenaire de DSAT


Le choix de l’objet
« J’ai choisi une paire de chaussures de sport réalisées à partir de marc de raisin et de marc de café. Elle symbolise les deux univers que j’aime : le monde de la restauration et le sport. J’ai toujours pratiqué une activité physique et je peux même dire que c’est la base de mon équilibre de vie. Je m’investis énormément dans mon travail, les journées sont longues et le sport constitue une échappatoire. Cela peut être du fitness, du vélo, notamment le gravel.
J’ai calculé grâce à ma montre connectée que je fais à peu près 23 000 pas chaque jour, ce n’est pas rien. L’intensité de notre métier nous rapproche du haut niveau, il faut avoir une bonne condition physique pour résister. D’où le choix de ces chaussures qui font parfaitement le pont entre mes vies professionnelle et personnelle. »

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Le choix de la salle
« Tout est né d’un coup de main que j’ai donné à mes parents à l’âge de 14-15 ans. Quand j’étais enfant, ils ont repris un café dans la région, à Orchies (59), et j’ai commencé à les aider un petit peu. Eux, ils ne voulaient surtout pas que je fasse ce métier. Conditions de travail, horaires, etc. Mais ils ont rapidement compris que j’adorais ça. Jusqu’à me dire : « Mais tu es fait pour ces métiers de la salle. »
Du coup, ma passion était en quelque sorte validée par mes parents. En revanche, je savais que la cuisine, ce n’était pas fait pour moi car j’avais l’image de ces pièces fermées et un peu sinistres, très éloignées du client. Or j’ai besoin de voir et de ressentir ce plaisir que l’on procure aux mangeurs. »
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La découverte du monde du vin
« Je dois mon appétence pour le vin à Laurent Nicolas, sommelier à l’Hermitage Gantois de 2011 à 2020. C’est lui qui m’a fait aimer ce monde de la sommellerie, et je lui dois beaucoup. Il parlait du vin avec autant de passion que de simplicité. Il veillait à d’abord comprendre les envies et les préférences du client avant de proposer une bouteille. Il savait gommer les mots opaques et le côté guindé que le sommelier peut parfois avoir. Je le trouvais incroyable et, alors que je travaillais en salle, je me suis mis à lui poser de plus en plus souvent des questions sur le vin. Il me répondait avec attention, il me faisait goûter et j’ai découvert tout un univers incroyable.
J’ai ensuite continué mon apprentissage à La Grenouillère, notamment avec Ndita (Ndita Robert a ouvert avec son mari, Felix, le restaurant Arborescence à Croix, ndlr), puis avec Emeline. De fil en aiguille, et en me rendant régulièrement chez les vignerons, car c’est là que tout se passe, je me suis pris d’amour pour le vin et les autres boissons alcoolisées ou pas. Même si je dois avouer que j’ai beaucoup à apprendre sur tout ce qui n’est pas alcoolisé, à l’instar des thés par exemple. Je me rappelle d’un accord mets et thés chez Yam T’cha (Paris, 1er arr.) qui m’avait bluffé. J’ai devant moi un très grand terrain de découvertes, sur le thé, mais également sur le café ou autres. »

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Votre personnalité
« Je suis un grand timide. Cette timidité est liée à mon bégaiement. C’était assez dur à vivre quand j’étais jeune, au collège notamment, puis, grâce à mon métier, j’ai vraiment pris confiance en moi, sans rien perdre de mon humilité je crois. J’aime m’intéresser aux autres, discuter avec les clients et les gens en général. Je me sens curieux de tout.
Concernant mon bégaiement, cela peut être perçu comme un handicap. Mais avec le recul, je le vis comme une grande force. Car il m’a permis de beaucoup travailler sur moi, donc de me comprendre et de le dépasser. J’ai appris à avoir confiance en moi, toutes proportions gardées bien sûr. Travailler en salle, échanger avec les clients, tout ça c’est raccord avec ce que je suis. Je le fais avec une grande sincérité. Mais je n’oublie pas l’importance des premières rencontres dans ce métier de représentation qui ont su me donner confiance, m’accepter comme j’étais. »
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Le service : 100% moi-même
« Comment je suis en salle ? Moi-même, tout simplement. Hyper naturel. Parfois, cela ne peut pas plaire, mais est-ce bien grave ? En étant dans la sincérité, je pense pouvoir être compris de tout le monde. Ne pas être toujours d’accord fait partie de la vie, cela n’est pas en soi une marque d’irrespect. Au contraire. Je m’oppose en revanche totalement à l’idée de la salle-théâtre où le personnel doit jouer un rôle. Comment donner du plaisir en n’étant pas soi, cela m’échappe. J’ai par exemple refusé de travailler dans un restaurant à Londres car il était demandé d’apprendre 54 phrases par coeur, pour chaque situation : dire bonjour comme ça, servir de l’eau comme ci…. Impossible pour moi.

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Points forts, points faibles
« En point fort, je pense pouvoir dire le contact client. La sincérité de mon comportement, que je viens d’évoquer, va de pair avec la nécessaire bonne distance et la compréhension des attentes du client. Côté points faibles, oh il y en a plusieurs (rires). Je dirai surtout une difficulté à déléguer. Pourquoi ? Parce que j’aimerais que l’autre fasse exactement comme moi, ce qui un peu bête et totalement impossible. Je dois réussir à prendre du recul par rapport à ça. »
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Plus tard…
« Tant que je prends du plaisir à faire ce métier, nul doute que je vais continuer. En revanche, je sais que le jour où il ne sera plus là, j’arrêterai. Je pense également que je ne rempilerai pas dans un autre restaurant étoilé. La Grenouillère et Rozo sont deux maisons tenues par des propriétaires engagés. Ils habitent leur lieu et c’est comme ça que je conçois la restauration. Après, je ne sais pas. Quand j’étais enfant, je rêvais d’être pompier. Peut-être qu’il faut y voir une filiation avec les métiers de salle : être au service de… J’ai parfois pensé me reconvertir dans le secteur informatique car j’adore ça. Mais, dès que je réfléchis deux minutes, je me dis que c’est à l’exact opposé du contact humain. Au fond de moi, j’imagine que dans 10 ou 15 ans, je me reconvertirai dans un métier qui n’existe pas encore aujourd’hui. Voilà, c’est ça : un nouveau métier à imaginer où le contact humain sera toujours présent. C’est ça qui me motive tant. »
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Pratique | Site du restaurant Rozo | Jérémy Moreira sur Instagram
Photographies | Emmanuelle Levesque


















