L’ex-étudiante en histoire des relations internationales ne pensait faire qu’une incartade de courte durée dans le monde de la restauration ; elle y fait désormais carrière. Derrière ce qui aurait pu être un simple petit boulot alimentaire, Louise Teinturier a découvert une passion guidée par l’adrénaline du service et de la relation humaine. Elle estime que derrière l’inévitable dimension ‘séduction’ de la salle, les métiers du service sont au coeur de l’expérience client.
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Texte | Franck Pinay-Rabaroust
Photographies | Emmanuelle Levesque

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L’objet
« J’ai retenu mon agenda. Tous les ans, j’en choisi un nouveau, d’une couleur différente. C’est lui qui fait le lien entre ma vie privée et ma vie professionnelle. Mes deux univers se retrouvent dedans et il me permet d’être bien organisée. J’adore avoir le contrôle sur ma vie et mon agenda y contribue pleinement.
Dans l’agenda, on peut y voir mes horaires de travail, mes rendez-vous personnels, les heures où je suis à la salle de sport… Et il y a des petits messages ou des dessins que je m’écris pour moi toute seule. Cela peut être un « bravo Louise » ou « tu vas y arriver ». Pour un anniversaire, je peux dessiner des petits coeurs, des petits soleils… Il m’arrive d’ouvrir l’agenda et de relire avec enthousiasme mes messages. Inversement, il m’arrive d’avoir des semaines ‘blanches’, où rien n’est écrit. J’y vois un signe de mon état psychologique du moment. »



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La découverte du service
« J’ai commencé le service en restauration un peu par hasard alors que j’étais étudiante en Master d’histoire des relations internationales à la Sorbonne. Puis, après le Covid et alors que l’université étaient encore fermée, j’avais besoin de trouver un travail pour me permettre d’avoir un objectif quotidien, de savoir pourquoi je me levais chaque matin.
C’est ainsi que j’ai commencé à être serveuse dans une pizzeria du septième arrondissement parisien. Ça été le déclic. J’ai immédiatement adoré toutes les facettes du métier : recevoir, servir, écouter. Après quelques services, je me suis aperçue de quelque chose : je souriais. Le matin, j’étais heureuse de me lever pour partir au boulot, de retrouver mes collègues qui avaient le même âge que moi. Les clients ressentaient cette ambiance positive et nous le faisaient comprendre.
Régulièrement, mes amis me demandaient si le ‘contact client’ n’était pas trop difficile. Et je m’entendais répondre que non, à partir du moment où l’on renvoie une certaine joie de vivre, ils agissent par mimétisme. Et quand ce n’est pas le cas, il y a alors un petit challenge à les faire sourire avant la fin du repas. J’ai donc démarré dans une pizzeria parisienne et je ne le regrette vraiment pas. »
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La famille
« Je suis franco-espagnole, avec quelques origines juives marocaines du côté maternel, mais je suis née au Maroc, à Casablanca. J’ai toujours baigné dans une culture très française ; j’ai fait mes études au lycée français. Mes parents vivent toujours au Maroc. J’arrive en France à l’âge de 18 ans pour faire mes études avec le virage ‘restauration’ déjà expliqué précédemment. J’ai une grande soeur psychologue, une demi-soeur qui évolue dans le milieu de la mode, et un petit frère, 14 ans, qui est à l’école à Marrakech.
Quand j’ai expliqué à mes parents mon choix de m’orienter vers le secteur de la restauration, ils m’ont simplement dit ‘fais ce qui te rends heureuse’. Mon père ayant travaillé dans l’univers de l’hôtellerie et de la restauration a compris ce choix. Mes parents m’ont d’ailleurs emmenée très jeune dans de beaux restaurants, j’ai eu cette chance de connaître les us et coutumes de la gastronomie en tant que cliente. Cela compte forcément beaucoup. Néanmoins, au bout d’une année dans ce monde du restaurant, mes parents m’ont quand même dit « tu ne vas pas rester serveuse toute ta vie ! ». Je leur ai répondu qu’ils ne devaient pas s’inquiéter, qu’un jour, quelqu’un croirait en moi pour que j’évolue et que je grandisse côté responsabilités. Je savais déjà que j’étais faite pour travailler dans la restauration. »

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L’ambition
« Je dois reconnaitre que j’ai voulu reprendre mes études. Après une année passée à faire du service, j’ai connu un ras-le-bol de ce milieu. Horaires compliqués, des amis que je ne pouvais plus voir, etc. Ces derniers me disaient que sans études, je ne disposerais d’aucun parachute en cas d’échec. J’ai donc craqué et je me suis inscrite dans une école (management de la mode) pour reprendre un cursus. Charles, le propriétaire du restaurant l’Office (Paris, 9e arr.) où je travaillais alors comme serveuse, souhaite me garder et me propose alors le poste de manager. Ma première réponse fut négative. C’est alors l’été, je décide de partir au Maroc retrouver ma famille et prendre un peu de recul. Pendant tout l’été, je me prends la tête toute seule : reprise des études ou évolution au poste de manager ? De retour en France, j’ai appelé l’école pour annuler mon inscription. Mon choix était fait.
De fil en aiguille, j’ai pris les responsabilités que je voulais à l’Office, puis je suis partie travailler dans le nouveau restaurant de Charles, Ardent (Paris, 9e arr.). Et, il y a déjà quelques temps, en 2024, il m’a été proposé de monter un nouvel établissement avec Charles et son associé, Arthur. J’ai dit oui. Je n’étais plus simple serveuse, très loin de là même. »

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Personnalité
« Je ne peux pas dire que, plus jeune, j’étais timide. Disons que j’étais plus introvertie, je vivais un peu dans ma bulle. Ce qui n’empêchait pas que je revendiquais un petit caractère quand même. Il n’attendait que la bonne occasion pour se révéler je crois. Et c’est ce qui s’est passé en travaillant dans la restauration. Avec humour, je dis à mes associés qu’en me donnant autant de responsabilités aussi jeune, ils ont créé un monstre. Un monstre de travail. Quand il faut assumer un samedi 80 réservations, plus une vingtaine de couverts non programmés sur deux services complets, tout ça à 24 ans, il faut vraiment tout déchirer. Ce métier me plait tellement que, sans m’y attendre particulièrement, je revendique aujourd’hui un petit côté carriériste. »
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Les causes d’une passion
« Tout repose sur l’humain, l’échange et l’adrénaline d’un service. Tu sais que le restaurant va être plein, qu’il va se dégager une énergie dingue, que tu dois gérer une équipe avec dextérité pendant quelques heures ; ça c’est passionnant. Et il y a cette responsabilité de rendre les clients heureux. Je dis toujours à mon équipe : ‘Une fois la porte franchie, le client, c’est comme s’il était chez vous. Si ça se passe, c’est de votre faute. Alors il faut tout faire pour le rendre joyeux’. La passion est issue de ce contact permanent, de l’énergie que l’on donne et que l’on reçoit des clients. »
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Joues-tu un rôle ou es-tu toi-même ?
« Je reste principalement moi-même pendant le service car, dans la vie de tous les jours, je suis une personne qui veille beaucoup sur les autres. Pour être franche, je n’aime pas que l’on me critique, donc je fais toujours en sorte d’être aimée, de faire l’unanimité. En cela, je me comporte de façon similaire dans ma vie professionnelle comme dans ma vie privée.
Avec les clients, il y a un petit truc qui rejoint l’égo. Se sentir appréciée me rend plus forte. J’ai toujours aimé plaire, et je vois la salle comme un espace de séduction. Ce qui fait que je suis persuadée que de nombreux clients ne choisissent pas uniquement telle ou telle table pour la qualité de l’assiette, mais aussi et parfois surtout, pour la qualité du service, du contact humain, de ce que nous appelons l’expérience globale qui englobe avant tout le service. Nos métiers sont essentiels. »
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Lien vers le site du restaurant Ardent
Lien vers le compte Instagram de Louise Teinturier